lundi 13 mars 2006

Claude Pélieu 1977 (1)

Nous publions en trois livraisons un texte de Claude Pélieu écrit en 1977, publié en 1981 dans un n° hors-série de la revue « The Starscrewer ». Ce texte a été réédité en 1996, dans l’ouvrage «bEt vous aurez raison d’avoir tortb».
(Photo de Claude Pélieu en 1976 par Jean-Louis Brau)
J'AI PASSÉ PAR LÀ POUR VENIR ICI (1)Amphétamine Cow-Boy en direct de la rue Sans Nom... Londres, 1971, série noire surréaliste dans le ghetto des mots et des idées... ombres grasses au-dessus des banlieues lépreuses... 1971, vous vous souvenez de ces photos - vous étiez scandalisés, émus, indifférents - vous n'étiez pas des barbares, comme ces jeunes soldats, comme Charles Manson - vos idées étaient bien à vous, donc vagues... et je disais qu'il n'y aurait jamais assez de violence, je n'aime pas la violence... Depuis j'ai brûlé ce que j'aimais, et j'aime ce que j'ai brûlé. Tout au long de la route, encore une fois, je vous raconte, vite, en gris, en noir, en couleur, comme ça, à l'emporte-mot, avec ma bombe tue-temps, mon herbe bleue, et tout - moi aussi je me suis trompé, je comptais intercepter quelque chose, le réel-surréel, quelque chose saisi au vol, en plein ciel, en chute libre, en haute mer, n'importe où - Prose-poursuite dans les rues du monde, karaté mental... pirouettes ! merveilles ! fêtes ! magie noire et blanche ! festivals de vie !.. je me souviens des mômes-pivoines et de leurs jeans tachés de foutre, des anges de l'enfer, des filles-fleurs aux yeux de ciel, tous défoncés, planants, comme on disait en ce temps-là... Bien sûr il y a eu des hauts et des bas, des conséquences, des effets désastreux, des accidents, et des rumeurs...

« De nos jours, fiston, il faut faire vite », avait coutume de dire Jimmy Cul-de-Poisson, appuyant sur l'accélérateur, feuilletant distraitement son dictionnaire surréaliste, avec quelle grâce !... toujours sur le ballast !... Je comptais établir cette carte du cerveau, à travers une chaîne ininterrompue de poèmes, de cantos, de scripts, de collages, de bribes, de photos, de films, d'enregistrements, d'informations, et de visions, vite, brutalement, avec arrogance... Images uniques jaillissant de la nuit américaine, images sans cesse décodées, effacées, images-actions de l'absence, de la colère, de l'exil, de l'oubli, de la mort sans phrase, et surtout les images de la vie qui murmuraient gravement : CHANGER OU DISPARAÎTRE.

Tous morts, avec les dopogrammes et les spermogrammes, coincés entre les télex et les ordinateurs - vision totale entre les branches du Mythe - vision de tous les êtres crus, branchés, de toute évidence, d'un bout du monde à l'autre, représentant toute la science-fiction aux limites du rêve et de l'action... Choses vagues imitant les positions tantriques des êtres jetés les uns contre les autres, dans la plus complète indifférence... ces êtres défigurés par la politique, atomisés par le militantisme le plus débile, vendus et achetés, mutilés et torturés, gazés, napalmisés, cons et sales... Et puis quoi ? Tout ce sang, toutes ces dérives, n'est-ce pas peu de chose ? Si nous tenons compte de... De quoi ?... L'écume des jours s'excuse, les ombres frangées de l'histoire, cradingues, dociles, dialectiques, abouliques, surbranlées... alors on raconte, on se répète, en gris, en noir, en couleur, la sono trépigne entre les doigts du passager de pluie, nous sommes dans l'espace - bandes pré-enregistrées sur le rail hallucinatoire...

1971, je me souviens... Londres roupillait, Paris était un charnier d'idées, ici plus rien n'existait, plus rien ne pouvait durer - tous morts - par centaines ils sont tombés dans le trou du souffleur, techniquement morts, vous comprenez ?...
Ils ont bonne mine les sociologues, les analystes, les militants, les journalistes, et tous ceux qui découvrirent l'Amérique - de quoi parlent-ils terrés dans leurs bunkers universitaires ou dans leurs crèches sauvages, leurs gros culs dans la choucroute ? De quelle société ? De quels nègres ? De quelle contre-culture ? De quels mouvements de libération ?... exotisme, parano... certains évoquent encore ces petits équipages subversifs, intensément cultivés, traversant l'Atlantique, quinze ou vingt ans après, avec Nikons et mini-cassettes atteignant la côte West avec Hertz et quelques gauchistes hébétés... « Marx et le p'tit Jésus bouddhique vous saluent bien », disait Jimmy Cul-de-Poisson... Mon Dieu ! Mystiques de prisunic et rabbins chétifs !... Plus de mystère, plus de féerie, rien ni personne - seule survit la bonne grosse connerie militante, et les mauvaises odeurs de la nouvelle gauche... mousse verdâtre phosphorescente dans les yeux bigles de l'interlocuteur.

2ème partie à lire ici.
3ème et dernière partie ici.

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posted by Lucien Suel at 10:38

1 Comments:

Anonymous Anonyme said...

Wow. Quelle expérience ...c'est beau. Je ne connaissais de lui que ses traductionsd en collaboration avec sa femme, de Bob Kaufman. C'est un autre homme ici.

02:28  

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