L’Échelle de Shiva (18)
Swayambunath
L'envol pesant des corneilles, la trajectoire imprévisible des singes, d'un dôme à l'autre, de la flèche d'un temple à l'antre sanctuaire sentant le beurre ranci, c'est toujours le même éparpillement animal de la matière, la même condensation des cendres du souvenir. Quels amis ici sont vivants, quels ennemis nous tiennent ainsi en échec de ne pas pouvoir résister aux assauts dévastateurs de la passion ? La pluie fait boum boum sur Swayamboum, les moines frappent en cadence la peau tendue de leurs tambours, les gens cognent à la porte du ciel. Boum boum font l'orage et les nuages, et nous, où irons-nous d'ainsi nous aimer sans jamais nous atteindre ?
Ainsi s'achève la publication au Silo de L’Échelle de Shiva, un texte de Jean-René Lefebvre. En complément, nous publions ci-dessous un extrait d'une lettre de l'auteur à l'éditeur :
Ce titre vient de notre expédition au mont Kailash qui se trouve tout à l'ouest du Tibet, ancien royaume de Gugé avec la capitale Tsaparang, aujourd'hui il n'en demeure plus que quelques ruines se fondant dans le paysage. Le mont Kailash me fait parfois penser au mont Analogue de René Daumal, c'est le mythique mont Mérou, montagne axiale du monde, vénérée tant par les Hindous que par les Tibétains, c'est le trône de Shiva et le séjour du yogi Milarépa qui y subjugua des démons redoutables. On en fait le tour en deux-trois jours, ça s'appelle "la kora", j'ajouterai que le mont Kailash (6600 mètres) est interdit d'ascension, ce qui se comprend. Tout près se trouve le lac sacré Manasarovar, lac immense d'un bleu profond, on peut aussi en faire le tour, il y a des petits monastères, dans le lointain on distingue la silhouette caractéristique du Gurla Mandata (presque 8000 mètres), la frontière népalaise n'est pas loin. Le Tibet est fascinant, tant par son aspect physique (on est pratiquement toujours au-dessus de 4000 mètres, ce qui donne une ambiance particulière assez indéfinissable) que spirituel (beaucoup de magie se mêle ici au bouddhisme originel pour composer des hiérarchies célestes, divinités bénéfiques ou maléfiques, etc.). Pour faire ce voyage, nous sommes partis de Katmandou jusqu'à la frontière chinoise, au poste-frontière de Kodari. De là (on est à peu près à 1500 mètres) on monte par une route dantesque sur le plateau tibétain à presque 5000 mètres en deux-trois heures. La route emprunte une gorge gigantesque et très resserrée entre deux immenses montagnes de plus de 8000 mètres (le Cho Oyu et le Shishapangma) dont on ne voit que la base bien-sûr. Enfin quand je parle de Swayambunath, il s'agit d'une colline boisée de Katmandou au sommet de laquelle se trouve un stupa richement décoré et un ensemble d'édifices disparates dont un temple bouddhiste. On y accède par un escalier en pierre assez raide et long, parfois assaillis par des singes chapardeurs qui pullulent dans les arbres aux alentours et s'aventurent dans l'escalier en effrayant les pélerins.
Libellés : Jean-René Lefebvre, L'échelle de Shiva
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