JOURNAL INCOMPLET DE MADAME B. - octobre 2007 - III
Mardi
Je
me remets de dimanche de ma sortie. L’excès d’air et d’horizon, de nourriture
et de boissons. Les fibres musculaires ont perdu comme les artères de leur
élasticité. Je m’en arrange. Je me débrouille. Mais la plus grande fatigue
résulte de l’accumulation des visages vus entrevus contemplés. Ils tournent
dans l’agitation de mon sommeil. J’ai la gorge sèche.
Jeudi
J’abandonne
la collection de vieux journaux. J’ai marché jusqu’à la bibliothèque pour
pâturer un peu de fiction et de poésie. J’ai lu dans sa traduction un article
de Jack Kerouac, écrit de 1960. Il parle d’une promenade en voiture avec le
photographe Robert Frank. Il me parle du photographe et de l’écrivain. Dans ses
mots, je lis les photos de Frank, les paysages noyés dans la pluie et
l’électricité. Du coup, je suis allée farfouiller pour relire des extraits du
Journal de Gerard Manley Hopkins. Comme il parle des vagues, des éclaboussures.
Et des nuages.
Vendredi.
Le
Journal d’Hopkins m’a amené à celui de Kafka. Je me voyais lire seule devant la
fenêtre du jardin dans le brouillard de Prague, entre Kafka et Hopkins, au-delà
du temps avec un autre demi-sourire, un peu triste sûrement sur mes lèvres.
Toute la solitude accumulée, entassée serrée dans l’écriture, s’exhalant des
pages parcourues des yeux et des doigts. Je dois penser à enlever cette bague
qui me serre.
Libellés : Journal, Mauricette B.
3 Comments:
Bonjour,
Le métal ne fait jamais bon ménage avec le corps.
La vie est émotion, les bagues sont inertes et ne peuvent représenter la liberté construite seule ou à deux.
Cordialement.
(@temps: mais que faire de l'alliance ?) je ne le dis pas mais je suis content de retrouver un peu de cette lectrice (je vais aller m'inscrire aussi à la bibliothèque-François Villon qu'elle se nomme-afin de trouver un peu de poésie et de fiction)
Cela paraîtra sans doute exagéré, mais le temps n'existe pas pour Madame B.
Cette bague n'est pas son alliance, car je le sais, jamais elle n'épousa qui que ce soit.
Il est possible qu'il s'agisse de l’alliance héritée de sa mère morte.
Ainsi le lien est réalisé avec les dames du temps jadis (comme l'écrivait le poète malandrin).
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