mardi 6 mars 2012

Kurt Witter 3ème saison

« KURT WITTER » est un roman expérimental. Chaque chapitre est constitué des dix blocs de texte (« tweets » de 140 signes) publiés au cours d'une semaine sur Twitter. Pour une lecture plus aisée, les blocs ont été regroupés en paragraphes « normaux ».
7 chapitres constituent une "saison".
Le roman terminé comprendra 28 chapitres, soit 280 tweets à suivre en direct pendant toute une année sur mon compte Twitter.
Première saison : été 2011
Deuxième saison : automne 2011
Troisième saison
hiver 2011-2012

I

Saut majeur, l'intégration de la Dream Machine à la sculpture permet aux explorateurs de patrouiller dans le temps du Merz. Un championnat de dadas a entériné la sélection des zones temporelles et des artefacts récupérables dans l'hémisphère Nord. De Zurich à Hanovre, Blanche Sélavie et Hugues Haubal collectent, numérisent cylindres, rouleaux et disques de phonographe. Scrutant les menus évènements de l'année 2023, an XI de l'ère nouvelle, Anna Bloom et Kurt Witter recherchent Costume Noir.

Georges Permeke-Spilliaert alias Han-Ri Mishoko, ouvrier agricole dans un élevage de rennes en Laponie ; il peint la neige. Blanc sur blanc, il entasse ses toiles dans un congélateur. Il crée des statues de neige, armée de fantômes sur la toundra. G.P.S. rêve parfois de ses vieux amis, croit les reconnaître dans une marine peinte par Schwitters sur une île norvégienne. Un quartet de bonhommes de neige monte la garde devant l'entrée de l'étable. On entend les rennes qui ruminent leur lichen.

La bulle temporelle dépose Blanche et Hugues, Spiegelgasse à Zurich, explorateurs invisibles aux yeux des passants de 1916. Anna et Kurt naviguent dans les données de l'Académie 23, traquant les occurrences de Turing Stephenson Gibson & Burroughs.

II

De son propre chef, Anna propose à Omer et Pénélope de l'accompagner dans une dérive originale. Ithaque-Troie aller-retour. Kurt n'apprécie guère l'initiative et laisse éclater sa colère. Il préfère que la découverte de l'effet Merz reste secrète. Le vif éclat de Kurt détruit les relations déjà distendues avec Omer et la tisseuse. Anna se sent très desperate housewife. Pour se dérider, elle décide de créer une ligne inédite de dadas en mâchant ensemble chewing-gums et Léonidas (autre Grec).

Ailleurs, outre-temps. Blanche se sent coupable. Malaise. L'ingratitude du groupe vis à vis de L'Impossible Naoko. Oubliée. En s'appropriant passé et avenir, le royaume des morts et le pays de ceux qui ne sont pas nés, ils abandonnent les vivants. Spiegelgasse, l'astropataphysicienne et son partenaire de translation avancent main dans la main, vers le Cabaret Voltaire.
De son (leur) côté, KurtAnnaWitterBloom a (ont) localisé la signature numérique de Costume Noir dans une database orbitale. Pendant l'interfaçage au serveur de l'Irréalité, les sbires du Bureau de Salubrité Mentale cognent à la porte de la maison. Ils sont toujours à la recherche de G.P.S. Anna se déconnecte pour les accueillir. Ils sont deux et jouent Bad Cop/Bad Cop.

III

Badcop 1 : "On a retracé les tweets que Mishoko a échangés avec vous après son évasion du Therapy Center. Où est-il ? Now."
Anna : "Nao ! Elle est peut-être impossible, mais n'a rien à voir Han Ri. Et lui, il est loin, parti dans la tweetosphère."
Badcop 2 : "Tweetosphère ! Tweetosphère ! Est-ce qu'on a des gueules de tweetosphère ? Faut changer de refrain, Mme Bloom !"
Anna : "Si vous voulez, je peux vous imiter le pinson dll rrrrr beeeee bö dll rrrrr beeeee bö fümms bö rrrrr beeeee bö wö."

Soudain surgit Kurt Witter, générateur à la main. Les premières syllabes de l'Ursonate ont joué un rôle de signal d'alarme. Les deux flics ont le souffle coupé. Kurt les braque avec le générateur de champ temporel et les expédie à l’ère glaciaire.
Débarrassé des fâcheux, le duo WitterBloom se branche de nouveau à la MerzDreamMachine. Direction le Cloud de Costume Noir. Les explorateurs se glissent à l'intérieur du Simulacron, trouent le mur de glace noire et fusent dans la purée de données. Enfoncés dans le fouillis des fichiers, ils entendent un marmonnement "whisper" qui va crescendo, voix mp3 de Costume Noir. Calling partisans of all nations/Shift linguals/Cut word lines/Vibrate tourists/Free doorways/Break through in grey room...

IV

Zurich. Hugues Haubal se fraie un chemin dans la foule qui encombre le trottoir. Avec Blanche, ils entrent dans le cabaret. L'endroit est bondé. À travers la fumée de tabac, ils observent la scène cernée sur trois côtés par les amateurs de poésie. Blanche et Hugues marchent vers le frontstage, se glissent entre les spectateurs. Ils remarquent des Turcs et des Japonais.

Krippenspiel en cours sur la scène. Assistance silencieuse, surprise par la rencontre entre récitatif et concert bruitiste. Après les applaudissements, Blanche Sélavie se tourne vers son partenaire pour partager l'émerveillement. Hugues a disparu.

Sur chaque côté de la scène, on installe maintenant trois pupitres supportant chacun un manuscrit rédigé en lettres rouges. Les lampes s'éteignent. Silence. Dans la pénombre, on distingue des silhouettes déplaçant une masse sur l'estrade. Lumière.
Oh et ah stupéfaits. Le personnage en scène a les jambes prises jusqu'aux hanches dans un brillant cylindre de carton bleu. Il arbore un énorme col-manteau, couvert de papier, rouge à l'intérieur et doré à l'extérieur, qu'il remue comme des ailes. Avec son chapeau de chaman à rayures blanches et bleues, on dirait un obélisque. Blanche, sidérée, reconnaît Hugues Haubal.

V

Whou whououou whououou... En même temps, mais à une autre époque, au même endroit, mais en un autre lieu. Whouououououou... Le vent souffle hurle en mode blizzard. Devant l'étable laponne, les bonhommes de neige sont devenus des gros tas. Tumulus.

A l'intérieur, Georges se fait chauffer les doigts par son couple de rennes préférés. La vapeur se condense sur ses ongles. Il ferme les yeux, se focalise sur les méandres de sa tapisserie interne, devine des ombres amies dans l'entrelacs méningé. Les rennes s'ébrouent, déchirant le voile méditatif alors que la mise au point sur les quatre silhouettes devient optimale.
Georges sait ce qu'il doit faire. Il avale une jatte de lait jaune, enfile sa pelisse en peau de loup et coiffe son feutre. Dehors les monticules luisent sous le soleil de minuit. Georges se met au centre du carré, commence à tourner sur lui-même. Élevant et abaissant les bras, tourne, tourne, tourne. Dans un sens, dans l'autre. Soudain s'arrête, commence à psalmodier. "Gadji beri bimba. Glandridi laul lauli lonn lonni cadori. Gadjama bim beri glassala. Glandradi glassla tuffm i zimbrahim." Blocs de neige remués de l'intérieur, vibrant sous les consonnes. Bimba bimba. Ils enflent et se redressent face à Georges.

VI

En même temps, à une autre époque, au même endroit, en un autre lieu, Kurt et Blanche pérégrinent dans un orage électrique. Voix nasillarde de Costume Noir. Les particules chargées leur hérissent le poil, font crépiter la laine de leurs vêtements. Parole Stalkerisée les guide dans la zone grise. Les électrons clignotent autour d'eux comme des moucherons ou des flocons.

Hiver nucléaire de 2023. Bégaiement pop. World Destruction. This is war to extermination. Les nouvelles du futur suckent... La machine à rêver vire au cauchemar. Blanche serre le cou de sa poupée Pat et Kurt broie la tête de Walt. Celluloïd Crash. Le logiprog pirate de la Brigade de Salubrité Mentale secoue la carcasse du M.E.R.Z., relance les jumeaux BadBad et CopCop.
Par un violent effort de concentration, Kurt se dégage de la sinusoïde maléfique et active son accumulateur d'orgone perso. Détachant les doigts de Blanche de l'avatar pseudo-dickien, d'un coup de pied virtuel, il catapulte celui-ci hors du temps. Blanche revient à elle et lui. Junkjumeaux avalés par la poubelle du hardisque. Nuage électronique devenu tempête de neige. Au sein de la brume, Kurt et Blanche entrevoient quatre figures fantomatiques s'agitant et gazouillant de façon brownienne.

VII

Même temps, autre époque. Même endroit, autre lieu. Podium du Cabaret Voltaire, Hugues Haubal en transe, remue ses "ailes". Sans peur du ridicule, il brame hardiment Le Chant de Labada aux nuages. Au milieu du public, Blanche ébahie bat des mains.

L'éclairage faiblit. On distingue des silhouettes qui se dirigent vers le second pupitre. Voix modulant le murmure du vent.
Lumière revenue, quatre ombres dansantes et bruissantes encerclent un géant couvert de fourrures planté face à l'auditoire.


Hugues annonce "La Caravane des éléphants". Bung ! Bunga! La créature tape convulsivement du pied le plancher de l'estrade. Les deux "artistes" bougent et récitent de concert. Grossiga égiga tumba. Soudain, Blanche reconnaît la voix du géant velu. Elle se souvient. Han Ri Mishoko, ses bonbons farcis, sa fuite au Nord, son nouvel alias. Georges ! Sous une peau de loup !
Une main se pose sur le dos de Blanche. Elle se retourne. Anna est là. Du doigt, désignant la scène, le troisième pupitre. Trop d'évènements simultanés ! L'astropataphysicienne beugue. Se reprend, assimile puis redémarre. Kurt hurle avec le loup. Animés par la foule, les trois déclamateurs slamment blago bung blago bung. Anna et Blanche balancent des wulubu ssubudu...

Fin de la troisième saison

La prochaine et dernière saison de "Kurt Witter" sera publiée au printemps 2012.

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posted by Lucien Suel at 08:50