jeudi 10 octobre 2013

Reprises de positions - Tom Nisse (4/9)

Passons de la grande histoire au petit milieu. Il est tout aussi important pour moi, de la même manière que je me démarque (sans malveillance) du slam, de me démarquer de ce qu’il serait convenu d’appeler la vieille garde. Bien que dans chaque génération de protagonistes artistiques, (les poètes eux aussi sont protagonistes…) il y ait la minorité de ceux qui brillent plus fort que la nuit, avec leurs « lèvres de vitre » (Tom Gutt), et lesquels sont et restent admirables et sortiront toujours du lot, il y a tous les autres qui tiennent leur soi-disant notoriété (et qui souvent est basée sur une écriture consistant en de l’assemblage stérile d’images coupées de la réalité pulsante) pour grandeur acquise, qui se passent le sceptre entre eux, se félicitent mutuellement et sont hostiles à des voix divergentes, dangereusement novatrices, car qui sait, celles-ci pourraient les détrôner. Ils sont certes ouverts à certains plus ou moins jeunes qu’ils admettent dans leurs cercles et filiations, à condition que ceux-ci écrivent plus ou moins de la même manière qu’eux et qu’ils les considèrent comme maîtres jusqu’à ce que mort s’en suive. En d’autres termes, à condition qu’ils se soumettent. Ils sont ensuite plus ou moins ouverts à certains d’entre nous, quand ceux-là s’imposent parce que la valeur de leur travail poétique s’avère tout simplement indéniable. Souvent, ceux de ladite vieille garde sont aussi éditeurs ou critiques littéraires, ils étouffent donc plus la poésie qu’ils ne la soutiennent. Que ceux qui se sentent visés se sentent visés. J’écris ceci depuis le microcosme de la Belgique francophone (où il y a cependant eu l’exception, l’exact opposé, l’infatigable, magnifique et tant regretté Jacques Izoard), je ne suis pas sûr que dans d’autres contrées francophones la situation du milieu soit la même, mais j’ai cru humer que les différences ne sont pas criantes. Si pourtant il n’en était rien de cette suspicion, je ne pourrais que m’en féliciter. En tout cas, la situation est radicalement différente en Allemagne où les aînés encouragent avec enthousiasme les nouvelles voix foisonnantes, où la fraternité en poésie est palpable, où la critique littéraire est à l’affût, où les échanges sont solidaires et amicaux, avec leurs lacunes aussi bien sûr, mais ceci en dépit d’une multitude impressionnante d’approches dissemblables, toutes talentueuses, quelques-unes incontournables ; et où en conséquence les éditeurs sont généreux, les revues actives et courageuses bien que très exigeantes, les lecteurs et auditeurs nombreux. Ne serait-ce pas plutôt de la sorte qu’un authentique activisme poétique devrait être considéré et mis en œuvre ? Et non par des attitudes qui ressemblent étrangement à celles de politiciens qui louchent frénétiquement en direction du pouvoir.

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posted by Lucien Suel at 07:34