vendredi 4 octobre 2013

Reprises de positions - Tom Nisse (3/9)

Pour
Nous l’avons dit, bien que nous soyons relativement jeunes, nous ne faisons pas de slam. Nous faisons de la poésie. Qui sommes-nous donc, poètes aujourd’hui, non pas poètes maudits mais poètes qui ont leur mot à dire, quel rôle certains d’entre nous estiment-ils pouvoir attribuer à la poésie ? Et, de surcroît, qu’avons-nous pu découvrir et réaliser à travers notre écriture et sa confrontation à différents publics depuis un certain nombre d’années, qu’est-ce qui affine et dynamise notre position et notre geste ?
D’abord, il est notablement important pour moi d’affirmer que le poète n’est pas seulement un type qui de temps en temps ou à longueur de journée note ses inspirations soudaines successives, à quoi, malheureusement, nombre de jeunes gens semblent restreindre l’image de la poésie actuellement. Ce qui traduit un manque flagrant de subtilité. J’affirme, et un peu rageusement, que la poésie est aussi un travail de réflexion. De pensée philosophique, politique, historique, artistique interdisciplinaire, de vision cheminant toujours, sans souffrir des limites mais soucieux de l’efficacité des contraintes choisies, vers le plus haut degré de lucidité quant à l’entourage immédiat ou mondial ; et cette pensée doit résolument tendre vers la liberté. Vers la liberté dans tous les domaines cités. Nous l’avons vu, la poésie retranscrit, ausculte puis sculpte verbalement le quotidien de différents cadres lesquels forment la réalité de nos sociétés. Leur réalité mentale et émotionnelle, mais aussi crûment prosaïquement politique. Une réalité régie. Par le pouvoir politique. En mouvement dans celle-ci, la poésie est action bien plus que contemplation ou inspiration subite. Elle est perception agissante remodelant dans des formes indépendantes la réalité perçue. Une réalité régie par les états et leurs lois, par les politiques économiques et ce qu’elles infligent à la terre, par des discours uniformisés et ce qu’ils infligent à la conscience et l’inconscience collective. Par la science et la technologie aussi, tous deux au service de ce pouvoir politique et économique. Pour voir véritablement, il faut s’écarter. Une poésie véritable s’écrit donc à la marge de la marche de l’histoire pour être apte à puiser dans celle-ci avec plus de justesse. Cette parfois nommée grande histoire, qui est la donneuse de directives à toutes les petites histoires, les individuelles, repues ou tragiques. Histoire régie par des pouvoirs politiques qu’André Blavier, dans un texte sur la peinture de Jane Graverol, résume ainsi : « le pouvoir déchu des "hiérarchies", dont l’histoire nous livre à cru saignant la dérisoire succession ». Contre le pouvoir ainsi identifié, ce pouvoir qui n’a d’autre but que lui-même et ses propres intérêts, et ce en poussant devant lui une charrette remplie de centaines de milliers de victimes, de mutilés, d’exploités, de refoulés, d’aliénés, en tapissant les parois de la charrette de cynisme, de falsification historique, de mensonge, de pathologies discursives et de paternalisme gluant, poussant cette charrette en direction d’un avenir qui se profile comme étant définitivement désastreux, le progrès et toutes les ruines et tous les squelettes désarticulés qu’il annonce – contre ce pouvoir, la poésie doit sans relâche affirmer la puissance. La puissance d’évocation, de création, de respiration, de rêve frontal, de mémoire, et même, quand nécessaire, et c’est le plus souvent le cas, de scandale linguistique et de recherches destructrices. Recherches qui aboutissent chez certains d’entre nous, ceux qui continuent à ne pas ignorer que la destruction est préambule au faire de la place pour du nouveau. Sous cet angle, qui est un angle indispensable, la poésie est action vitale et désespérée, action mise en paroles, paroles créatrices participant à une volonté de liberté continuelle, de manière allusive et directe à la fois, de par là même où elle est insoumission sémantique. Déverrouillage mental. Issu de voyance impliquée. Pour.

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posted by Lucien Suel at 14:37