Du silence
OUI
Au-dessus du bol de thé fumant, un nuage de paupières dans la lumière du jour plus nu qu’une pierre au soleil. Méditation sans partage, matin d’une prière, accueil de l’heure effilée dans la lame de l’efficience.
Que
vaut ton poème s’il n’est pas contenu par le silence qui le
fonde, sentinelle sûre aux avant-postes de la musique des mots? Le
sens ne s’achetant pas, tiens-toi droit dans l’absolue gratuité
et tu verras qu’ils se courberont, qu’ils remercieront.
Au
tour des larmes de pleurer l’homme dévasté d’appétits
matériels. Ne sont-elles pas la santé de l’âme malgré le sang
qui la teinte et les cris qui en ruinent la destinée ?
L’Unique
et les idoles, sa droiture et les bras tordus des hommes. Regarde-le
avec les yeux du cœur et tu ne loucheras plus sur tant de biens
illusoires qui te conduisent à la ruine. Laisse le monde à sa place
et tu trouveras la tienne sans qu’il te soit nécessaire de
parcourir l’espace.
Enroule
la nuit, écoute la présence de la montagne, ses éboulements de
feuillages dans le manteau de la nuit. La nuit, un rosier de roses
noires qui bouge imperceptiblement en lui-même pour son seul
plaisir.
Les
vieux de la montagne, leurs manteaux de pierre et leurs longs bras
couverts d’arbres, méditatifs, accomplis, ils regardent de
l’intérieur vers l’intérieur, absorbés, paupières mi-closes,
c’est à peine si on les voit occuper l’espace, nous qui passons
sans jamais les dépasser, du haut de nos conquêtes illusoires.
La
présence tangible des montagnes densifie l’espace sans pour autant
le faire parler. Solidité du silence contre lequel il arrive qu’on
parle pour se donner l’illusion d’exister dans un moi qui
serait séparé, donc souverain, dominateur, bruyant, agité, au bout
du compte destructeur. A ce titre je préfère taire mes pensées
pour ne plus sentir le trop de la pensée.
Accueillir
la colère, la colère contre la bêtise, la méchanceté,
l’ignorance, cet absurde désir de mort, oui, absorber tout cela
qu’on voudrait rejeter et puis le dissoudre dans le grand jeu des
illusions, le voir sur fond de réel inchangé, rire enfin, de soi,
rire de sa propre colère.
Au-delà
de la cause et de l’effet, de l’espace et du temps, le seul
existant, l’Être en tout. Comprises là-dedans l’espèce humaine
et ce qu’on appelle sa réalité : L’avidité, le goût du
pouvoir, illusions bien réelles et pourquoi ? Par ignorance de
la vraie nature du Tout. Connaître cela, telle est la voie, je n’en
sais pas d’autre.
Méditation
devant un mur jaune écrasé de soleil. Vent sec, herbes jaunes et
sèches, terre craquelée, pas une âme, pourtant ce chat noir
solitaire et silencieux plus transparent que l’air alvéolé
épongeant l’espérance.
Alchimie.
En un instant je réalise l’unité transcendante d’un monde sec
où tout vient de la mer, les talus de galets le long des routes, les
vagues de montagnes grises et roses, l’enfoncement abyssal des
gorges remuées de fond en comble, le bleu profond des bouquets épars
de lavande. Jadis ici les larmes salées des pierres se fondirent
dans les eaux vertes du torrent et les colonnes de stuc ornèrent les
parois de cette chapelle à ciel ouvert. Sur le plateau violacé par
l’ardeur du soleil j’adresse la seule prière qui vaille,
silencieuse comme un respect de l’âme face à ce qui l’engendre.
Va
en cet endroit de toi où il n’y a pas de mots et tu entendras la
voix du monde.
Pas
de voie, pas de chemin. Reste à ta place et n’en bouge pas, le
monde viendra seul et tu le réaliseras.
Ne
ramasse pas la terre, laisse-la plutôt te ramasser, te pétrir, te
relever. N’es-tu pas de la même nature que les pierres du
torrent ? Tôt ou tard ce sera pour toi aussi le sable, la
plage, l’océan.
Cette
poussière qui se soulève comme la poitrine d’une jeune fille,
c’est une lettre d’amour que la terre s’envoie à elle-même,
baiser sur chaque brin d’herbe, chaque fleur épanouie, respiration
chaude et sèche, douceur de l’Être, son immobilité.
Dans
la folie je suis capable d’aller, je le sais, j’en suis revenu.
Ainsi la côtoierai-je désormais sans l’arraisonner. Qu’elle
passe dans sa froide logique malade, qu’elle s’efface sur le
champ d’orties et de gravats, sur la terre que l’indifférence
n’atteint pas.
Guérir,
nous qui sommes des malades incurables ? Qu’on nous donne
plutôt l’espérance sans pour autant railler la santé.
Je
sais que pour ce que je sais il n’y a pas de mots car cela m’a
rempli un jour et de ce jour je ne suis pas revenu, me permettant
d’accomplir le plus silencieux des voyages. C’est cela, la joie,
absolument et dans tous les sens.
Unité.
Je reçois ce que je n’ai pas demandé et me voilà plongé dans la
gratuité du don, dans la splendeur de la grâce. Mille spéculations
s’effaçant, il me reste à remercier, à m’étonner, à
louanger.
Om
je te chante et pourtant mes lèvres ne bougent pas, nul son ne se
fait entendre, nulle pensée n’agite mon esprit. C’est que je
suis le chant comme un accord sur une ligne mélodique, accordé au
monde, le monde que tu habites, que tu combles de ta grâce. Om je te
chante et tout se tait, tout est réalisé.
Jean-René
Lefebvre
Libellés : Jean-René Lefebvre, Poésie
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