mardi 8 septembre 2009

Sur la piste d'Arthur Cravan (2)

Le récent évènement de la braderie de Lille nous incite à publier la suite d'un article publié ici en août 2006, un article rédigé par notre ami néerlandais Johan Everaers qui eut la fortune de trouver sur une brocante d'Audresselles un paquet contenant des lettres originales d'Arthur Cravan. L'ensemble du dossier fit l'objet d'une publication dans le numéro 184 de la revue "Action poétique" dirigée par Henri Deluy.
"Silo" vous propose en deux séries les autres lettres d'Arthur Cravan précédées d'un commentaire de Johan Everaers.


Le vrai nom d’Arthur était Fabian Lloyd. Le courrier qu’il attend de sa femme doit être adressé maintenant à un de ses pseudonymes. Après son séjour à Curling, Arthur s’habillera désormais en homme et nous ne pouvons que deviner quel a été le boulot qu’il faisait dans cette ferme isolée. C’est dommage que le mystère Frost ne soit pas encore résolu. Frost est né à Philadelphie et je sais aussi qu’il est mort fin 1917. Je n’ai pas réussi à trouver l’endroit ni la date de sa disparition. Des recherches dans les archives communales de Corner Brook n’ont abouti à rien. Dans le Western Star, les noms de Frost ou de Cravan ne figurèrent jamais. Il faudra donc aller à la recherche du nom de Marie Lowitska.
Dans sa lettre du 25 septembre déjà, Cravan prévoit une période difficile pour le vieux Frost, tout comme son fils artiste-peintre, et devenu célèbre comme illustrateur. De chagrin, le bonhomme a détruit les oeuvres de son fils, mort avant son trentième anniversaire. [J. E.]
Port Union, Terre-Neuve, le 29 septembre 1917

Ma Bourguignonne,

Hélas, toujours sans nouvelles de Paris. Chère Renée, écris-moi s’il te plaît, comment vous allez tous. Surtout, envoie tes lettres à Robert Miradecque. Ce n’est que depuis quelques jours que je me suis rendu compte que je suis toujours dans un endroit tout à fait impossible. Terre-Neuve est un territoire anglais et par conséquent, je me trouve encore dans un pays en guerre, nom de dieu. Il faut que je file. En tant que Robert Miradecque, je tiendrai bon quelque temps, mais je n’ai presque plus d’argent. Ici, je ne vois presque rien de cette guerre mais ce doit être bien différent pour vous autres. Le pêcheur que j’ai rencontré à Corner Brook m’a accompagné en auto-stop sur la presqu’île de Bonavista. Hier nous avons passé la nuit à Botwood chez un vieil ami de mon compagnon de voyage. Un séjour qui n’a pas manqué m’inspirer d’ailleurs. J’y ai appris cette histoire que j’ai plaisir à te raconter : Ici à Terre-Neuve vivaient des Indiens nommés les Béothuks. Il y a une centaine d’années, Mary March était une femme Béothuk qui avait été capturée par les Anglais. Son vrai nom était Demasduit et pendant sa captivité, on a essayé de lui apprendre la langue anglaise. Ainsi, les Anglais pourraient disposer d’un interprète. Tu comprendras que………
[ quelques phrases illisibles. La lettre a été écrite au crayon] ………tandis que Mary comme le dernier de sa tribu est décédée. Je pense que les Français ont fait la même chose, par exemple avec les Indiens MicMacs sur la French Shore à l’ouest de Terre-Neuve. Pourquoi ne leur auraient-ils pas appris la langue française? Tu comprends que pour une personne bilingue comme moi c’est intéressant à savoir et peut-être qu’ensemble, avec Frost, j’en aurais appris davantage. Hélas, l’histoire a pris un autre cours. Maintenant je suis vraiment à court d’argent et je te prie de m’envoyer du pognon au Consulat Danois. Fais attention surtout d’indiquer Robert Miradecque.
Ton Arthur
Plus tard on a découvert que Renée, la femme de Fabian Lloyd, alias Arthur Cravan, alias Robert Miradecque etc., avait envoyé de l’argent au Consulat Danois à l’intention d’un des pseudonymes d’Arthur. Les lettres arrivaient à Paris par Copenhague avec la mention que le destinataire était parti sur un bateau mexicain, le Santissima Madre de Dio. Avant de quitter Terre-Neuve, Arthur donna de ses nouvelles et c’est cette carte postale qui prouve sa présence au petit village de Port-Union dans la presqu’île de Bonavista. La carte montre un énorme iceberg au large de Cape Bonavista.
Port-Union, le 4 octobre

Ma chérie,

J’ai trouvé du travail sur un bateau de pêche. Maintenant je comprends un peu mieux ce livre de Pierre Loti qu’un jour nous avons lu ensemble. C’est un labeur extrêmement dur.
Ton Arthur

Libellés : ,

posted by Lucien Suel at 20:30

3 Comments:

Anonymous Stéphane Prat said...

Ah, je ne savais pas qu'on avait mis la main sur ces lettres. Cendrars en parle dans "le lotissement du ciel". En les évoquant, il rapproche la respiration de certaines de ces lettres du souffle de Novalis, je crois qu'elles venaient du Mexique. Celles-là existent-elles encore?

09:27  
Blogger Lucien Suel said...

Je sais que Johan Everaers continue son enquête, qu'il est retourné plusieurs fois à Terre-Neuve.
Si vous souhaitez lui demander des précisions, je peux vous mettre en contact avec lui.
Pour les références, et notamment "Le lotissement du ciel", je les indique en fin d'article.
Merci.
LS

07:47  
Anonymous Stéphane Prat said...

Eh bien, merci beaucoup. Je vais d'abord suivre la piste de Collossus avec vous jusqu'au bout. Et relire le texte de Cendrars sur l'excentrique. Et je vous fais signe quand j'ai précisé mes questions...

Beaucoup d'émotions à découvrir ces missives. Un mélange intact de grandiose et de grotesque, dans cette fugue de 1917, qui s'ingénie également à détourner ses exercices poétiques du même moment. On peut comprendre que Johan Everaers, tombant là-dessus, en conçoive un maudit voyage...

A poursuivre...

La prochaine dérive, c'est le Mexique...

Stéphane.

09:18  

Enregistrer un commentaire

<< Home