jeudi 20 juin 2013

LES NOMADES ÉVOLUENT VERS LEUR DISPARITION

on dirait qu’ils parlent

qu’ils disent quelque chose

ils ne parlent pas tous à la fois

ils ont de qui tenir

ils ont oublié d’être bêtes

ils nous ont vu venir

nous dormons là où le soleil se couche & brûle ses routes
nous regardons le jour mounotonner dans l’éther

ils parlent parfois une autre langue que la leur

ils nous font signe quand ça leur chante

les anciens parlent debout

ils tiennent conseil de famille au ras des ziziphores avec des voix de syrinx

ils n’en mènent pas large dans le bourdonnement des rhombes

ils voient les choses en grand

tout a l’air facile avec eux, jusqu’à leurs tombes d’oubli

ils nous vouent à leur tuerie perpétuelle avec un amour panique

jambes au cou, droit devant, voyantes fulminantes, oracles fulgurants, faunes & pâtres de la

nativité dansant l’allaoui au son du bendir & du nay

ils avancent à pas de vautour, épaules tressautantes, comme des revenants dans l’immensité de la steppe

nous nous attendons là où s’abreuvent nos mains
aux frontières stellaires où se fondent les époques & les âges



ils avisent houbaras, faucons et traquets,
chevaux, gazelles, ânes sauvages, gerboises, engloutis par la frise de l’horizon ardent où cuisent vipères, locustes, scorpions, uromastyx & où défilent félins, camélidés, pachydermes, loups & autruches

ils nous tondent jusqu’à l’os, nous parent de plumes ou d’écailles



ils n’arrivent jamais seuls

ils ont la tête du vieilhommenfanfemme

certains possèdent le sens du mirage qui élève nos dépouilles lumineuses

ils y croient

ils sentent le passage du cube de la nuit

ils sont en plein dedans & vaquent à tous les dehors

comme eux nous sommes ici pour partir

il nous pousse des ailes qui nous portent à se croire 
dans les arpents de rosée & d’armoise

ils n’attendent plus personne

dans les miroirs en flammes de leurs ancêtres

sinon une Eve ou madone infantile

ils sont projetés sur l’orbe des Hauts-Plateaux

où ils bâtissent le dôme au pelage fauve de leur khaïma
nos maisons sont d’azur & d’alfa
comme le dit le vieux Chinois* :
« On connaît le monde sans pousser la porte
On voit du ciel sans regarder par la fenêtre
Plus on va loin, moins on apprend ».

ils nous font la peau

nous broutent la laine sur le dos pour s’en vêtir


ils gagnent leur orient & remontent rayonnants

leur patience d’abeille horlogère à la ruche




ils ne savent pas ce qu’ils marchent

ni quoi faire d’une chaise ou d’une échelle dans ces parages de rocailles vannés par le zéphyr


ils tablent sur le ciel & les troupeaux qui y paissent

ils nous dévorent des yeux

nous savourent avec les doigts
nous sommes atteintes par leur résurrection


elles sont une question d’ombre

ils restent sur leur fin

ils doivent leur salut

au seigneur des astres qui commande à ce qui est


ils ou elles ne nous appellent

d’aucun nom mais nous répondons pour eux quelquefois

à celui, bienheureux, de daghma

Thierry Dessolas

Le titre est de Lakhdar Hamzaoui, artiste Beni Guil natif de Tendrara dans l’Oriental marocain.
*La citation est de Lao Tseu.
Ces laisses de sous-titrage ont été écrites du 25 au 30 mai 2012 pour accompagner les images du non métrage video « Revenons à nos moutons », réalisé chez les éleveurs nomades Beni Guil (Maatarka, chez les Oulad Jaber, fractions Oulad Janfi et Oulad Labied) et Laamour (douar Hallouf, fraction Oulad Abdallah) dans la Province de Figuig, par Bastien Dessolas et David Malardel, autrement connus sous le nom des « frères Daredare ».
Les laisses de gauche sont dites par un homme, celles de droite par une femme. 
TD

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posted by Lucien Suel at 08:12

1 Comments:

Blogger K said...

Eblouissant ! Merci de ce partage.

18:08  

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