LES NOMADES ÉVOLUENT VERS LEUR DISPARITION
on dirait qu’ils parlent
qu’ils disent quelque chose
ils ne parlent pas tous à la fois
ils ont de qui tenir
ils ont oublié d’être bêtes
ils nous ont vu venir
nous dormons là où le soleil se
couche & brûle ses routes
nous regardons le jour mounotonner
dans l’éther
ils parlent parfois une autre langue
que la leur
ils nous font signe quand ça leur
chante
les anciens parlent debout
ils tiennent conseil de famille au ras
des ziziphores avec des voix de syrinx
ils n’en mènent pas large dans le
bourdonnement des rhombes
ils voient les choses en grand
tout a l’air facile avec eux, jusqu’à
leurs tombes d’oubli
ils nous vouent à leur tuerie
perpétuelle avec un amour panique
jambes au cou, droit devant, voyantes
fulminantes, oracles fulgurants, faunes & pâtres de la
nativité dansant l’allaoui au
son du bendir & du nay
ils avancent à pas de vautour, épaules
tressautantes, comme des revenants dans l’immensité de la steppe
nous nous attendons là où s’abreuvent
nos mains
aux frontières stellaires où se
fondent les époques & les âges
ils avisent houbaras, faucons et
traquets,
chevaux, gazelles, ânes sauvages,
gerboises, engloutis par la frise de l’horizon ardent où cuisent
vipères, locustes, scorpions, uromastyx & où défilent
félins, camélidés, pachydermes, loups & autruches
ils nous tondent jusqu’à l’os,
nous parent de plumes ou d’écailles
ils n’arrivent jamais seuls
ils ont la tête du vieilhommenfanfemme
certains possèdent le sens du mirage
qui élève nos dépouilles lumineuses
ils y croient
ils sentent le passage du cube de la
nuit
ils sont en plein dedans & vaquent
à tous les dehors
comme eux nous sommes ici pour partir
il nous pousse des ailes qui nous
portent à se croire
dans les arpents de rosée & d’armoise
ils n’attendent plus personne
dans les miroirs en flammes de leurs
ancêtres
sinon une Eve ou madone infantile
ils sont projetés sur l’orbe des
Hauts-Plateaux
où ils bâtissent le dôme au pelage
fauve de leur khaïma
nos maisons sont d’azur & d’alfa
comme le dit le vieux Chinois* :
« On connaît le monde sans
pousser la porte
On voit du ciel sans regarder par la
fenêtre
Plus on va loin, moins on apprend ».
ils nous font la peau
nous broutent la laine sur le dos pour
s’en vêtir
ils gagnent leur orient & remontent
rayonnants
leur patience d’abeille horlogère à
la ruche
ils ne savent pas ce qu’ils marchent
ni quoi faire d’une chaise ou d’une
échelle dans ces parages de rocailles vannés par le zéphyr
ils tablent sur le ciel & les
troupeaux qui y paissent
ils nous dévorent des yeux
nous savourent avec les doigts
nous sommes atteintes par leur
résurrection
elles sont une question d’ombre
ils restent sur leur fin
ils doivent leur salut
au seigneur des astres qui commande à
ce qui est
ils ou elles ne nous appellent
d’aucun nom mais nous répondons pour
eux quelquefois
à celui, bienheureux, de daghma
Thierry Dessolas
Le titre est de Lakhdar Hamzaoui,
artiste Beni Guil natif de Tendrara dans l’Oriental marocain.
*La citation est de Lao Tseu.
Ces laisses de sous-titrage ont été
écrites du 25 au 30 mai 2012 pour accompagner les images du non
métrage video « Revenons à nos moutons », réalisé
chez les éleveurs nomades Beni Guil (Maatarka, chez les Oulad
Jaber, fractions Oulad Janfi et Oulad Labied) et Laamour (douar
Hallouf, fraction Oulad Abdallah) dans la Province de Figuig, par
Bastien Dessolas et David Malardel, autrement connus sous le nom des
« frères Daredare ».
Les laisses de gauche sont dites par un
homme, celles de droite par une femme.
TD
Libellés : Poésie, Thierry Dessolas
1 Comments:
Eblouissant ! Merci de ce partage.
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