QUELQUES FIGURES DE L’ÉGAREMENT par Daniel Fano (3)
LE CRAPAUD REMPLACE LE PAPILLON
Il se releva, les colosses lancés à sa poursuite étaient équipés
de lunettes à infrarouge et d’un système de géo-localisation
individuelle, ils avaient des chiens de combat, des Matagi Akitas au
pelage épais, et des pistolets-mitrailleurs Heckler & Koch MP5
SD6, il réussit à s’extirper de là, reprit sa course, ressentit
un violent vertige, il ne voulait pas que sa mort fût inutile, il
voulait alerter l’opinion publique, il continuait à perdre son
apparence humaine, les mâles en rut s’imaginèrent qu’ils
pouvaient la prendre par tous les trous sans plus tarder, la fille
dansait comme si elle était seule au monde avant de leur donner une
de ces leçons de karaté, ce qui ne lui prit pas beaucoup de temps,
retour au rythme binaire hypnotique, « Internet Friends »
de Knife Party, puis « The First Rebird », vieux tube
techno/hard transe du milieu des années 1980 remis au goût du jour,
de la neige apparaissait sur les écrans de contrôle, son acolyte
fit un cercle avec son pouce et son index, il fendit la foule, siffla
une boisson fluorescente, s’enfonça dans le bruit total, top
départ pour les terroristes qui lançaient leur virus
cyberbiologique, « Love is Gone » de David Guetta,
« Gusano » par Gothika, ce liquidateur hautement irradié
de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi ne cherchait plus à
remplir ses grilles de sudoku, encore une question à laquelle nul ne
trouverait de réponse, la peau d’une geisha distinguée devait
être lisse, immaculée, celle du yakusa se couvrait de champignons,
chacun son truc, jeter la dernière cigarette par-dessus le parapet
du pont, l’Apocalypse pouvait se propager via les connexions wifi
et blue-tooth des ordinateurs, il ne servait à rien de lui
administrer ce thiopental sodique, les dégénérescences osseuses ne
ralentissaient pas, il appréciait surtout de voir les très jeunes
filles se caresser longuement devant lui mais il était trop nerveux,
le nuage électrique (sans doute) et le béton qui se vitrifiait si
vite, ils avaient à présent pénétré le domaine des kamis, il
était en colère contre cette imitation ratée de Rui Kisugi, les
geeks tendance cool qui croyaient que le second K était une légende
urbaine bandaient pour la dernière fois, faux plafonds, flots sales
du fleuve Sumida, les doigts du grand maître allèrent pianoter le
canapé de cuir blanc, sa combinaison intégrale se déchira, l’idée
que de la station Akasaka-Mitsuke on pouvait rayonner dans tout Tokyo
le secoua d’un rire de longueur paranoïaque, la disparition des
banques était imminente, sept milliards de morts au moins :
nous vous avions pourtant prévenu que nous ne laisserions aucun
témoin.
18
janvier 2016.
Libellés : Daniel Fano, Feuilleton, Figures de l'égarement
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