mardi 27 septembre 2016

QUELQUES FIGURES DE L’ÉGAREMENT par Daniel Fano (2)


LE CHAT REMPLACE LE CRAPAUD

Le seul bordel de luxe de toute la Roumanie attirait les hommes d’affaires de toute l’Europe, une petite pluie grasse et serrée s’était remise à tomber, ils descendaient au Bucaresti plutôt qu’au Venetia, n’étaient pas du genre à pirater un tram pour aller enculer les gamins et gamines au milieu des seringues sauvages et des paquets de cigarettes pourris, le cheptel se renouvelait sans cesse, le sida faisait des ravages, ne manquait plus que le pic à glace enfoncé en plein cœur – aucun d’eux ne connaissait la langue de Shakespeare, ils contournèrent les entrepôts, se retrouvèrent sur les voies ferrées, les courtes rafales crépitèrent, tous ces putains de trous plein les costards – le Bucur était un ancien relais de chasse au temps de Ceaucescu, les Occidentaux aimaient la chair fraîche, il fallait fournir, 115 kilos de primate lui fonçaient dessus, un samedi car le lutteur de foire avait son bandeau frontal, d’ailleurs la forêt de Baneasa ne brûlait pas – après la révolution, les Siciliens étaient arrivés, ils avaient pris la place des mafieux locaux, l’indicateur tendit sa main flasque après qu’elle eut émergé de sa masse gélatineuse, il n’avait guère le choix, le chef de gang avait le regard délavé plus aigu, grand temps de régler cette embrouille avec ses coupe-jarrets mauvais comme la gale – ce qui rapportait gros, c’était la contrefaçon, le trafic de haschisch libanais, les armes à destination du tiers-monde et derrière les vitres fumées de la berline, ne se berçait pas d’illusions – le cri d’agonie de l’autre imbécile était franchement bizarre et les crânes éclatèrent sous les impacts de 7,65 et alors les médias déballèrent tout sur les mocassins noirs et le maquillage outrancier – inutile de s’éterniser dans la cage d’escalier, celui-là savait porter de lourds secrets, consulter sa Rolex, lire une carte d’état-major, exactement comme dans un vrai cauchemar qui vient de partout et de nulle part – point de ralliement : la station-service Peco, prière de ne pas s’attarder dans la nuit finissante et le frémissement des feuillages, nous aurions préféré la strada Stavropoulos avec ses arabesques, ses arcades, ses balcons ajourés, nous serons indifférents aux coups de klaxon rageurs, nous verrons la ville devenir une grosse pomme à presser – prise de guerre avant le pont de l’Arsegul, grondements de l’orage et les camions fumants qui filaient vers la frontière de la Bulgarie, les flingueurs de couverture n’avaient pas envie de se mouiller, on va le leur mettre, mais alors là, profond, formidable ce lent panoramique, et les macs passeraient ainsi pour des bienfaiteurs de l’humanité.

14 janvier 2016

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posted by Lucien Suel at 07:20

2 Comments:

Blogger FRANKIE PAIN said...

puissance que ce texte merci.

14:22  
Blogger Lucien Suel said...

Merci Frankie !

07:34  

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