QUELQUES FIGURES DE L’ÉGAREMENT par Daniel Fano (1)
LE LAPIN REMPLACE LE CHAT
Une
cartouche dans la chambre et le cran de sûreté déjà dégagé, il
se demanda qui pouvait bien rouler si tard dans la nuit en direction
de Casa Grande, il se garda bien de sourire en se rappelant qu’en
matière de terrorisme l’incompétence était très mal considérée
– ils avaient apporté la grosse quincaillerie, ils avaient tous
des lunettes à monture métallique, il pouvait déjà descendre
celui qui venait en premier, celui qui faisait le malin avec son
fusil Ithaca Mag-10 Roadblocker au canon raccourci (50 cm), il pressa
la détente et le sang fut projeté sur le mur, il ne tenait pas à
ce que son blouson de cuir soit abîmé – bon, au suivant (ce type
venait de siffler six bouteilles de Corona, ou quoi ?), dans une
époque de confusion, il fallait s’attendre à tout, essayer de
gagner du temps, il y aurait bien encore certains détails à régler,
regarder le Russe le passer à tabac, trouver l’interrupteur tandis
qu’ils tenteraient de percer l’identité du soi-disant Johnny
Deux Fois – la jeune femme avait assez de cellulite comme ça,
contourner la sentinelle postée au bord de la piscine, heureusement
que le pot de mayonnaise était en plastique, elle écraserait le
long cigare Panatela dans un cendrier de cristal, question de couvrir
les cris du supplicié – pas facile de lui trouver une copie
conforme, ce serait trop risqué, ça reviendrait à révéler trop
de choses, les marchandises volées, les dealers, les maquereaux –
il se mit à les insulter en esperanto, dégoupilla la grenade et la
balança, les balles déchiquetaient tout sur leur passage, et alors
celui qui était en train de pisser sous le ciel étoilé leva son
pistolet-mitrailleur Skorpion, sa veste ouverte claquait avec
violence, il ne verrait pas comment explosait le réservoir d’une
Mercedes, un mec nommé Stakhanov ou Stravinsky remontait le couloir
en courant jusqu’aux barbelés électrifiés – fini l’effet de
surprise, frapper et puis disparaître en quatrième vitesse, un
hélicoptère approchait par l’ouest, masquerait bientôt la lune,
les commanditaires n’aimaient pas les numéros de téléphone
composés rapidement de mémoire – le matin, il se retrouva non
loin de la réserve navajo, jeta son dévolu sur cette cafétéria,
l’air conditionné paresseux, le pire allait venir, les vagues de
chaleur ondulaient déjà dehors, l’idée que le vieux tueur était
en train de devenir sentimental faillit le faire dégueuler – les
500 000 dollars en billets de 100 dollars, les bouteilles brisées,
le sol de béton noirci, quelqu’un dirait que c’était à cause
des séries télévisées, vous auriez dû prévoir, mon pauvre
garçon, que la mission terminée, vous alliez recevoir ce baiser
glacé derrière l’oreille.
11 janvier 2016.
Libellés : Daniel Fano, Feuilleton, Figures de l'égarement
2 Comments:
Un feuilleton Fano, super !
Merci DL, on reconnaît le fan de Fano !
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