Christine Jeanney - Lettre à Mauricette
Chère Mauricette,
J'espère que tu vas bien. Je l'espère vraiment.
Je ne sais pas si notre ami commun t'en a parlé, mais pendant que tu vivais ta rencontre avec Blanche, j'ai eu terriblement peur, très peur, que tu meures.
Aujourd'hui, j'ai un peu vieilli, peut-être pris un peu plus de sagesse, et je sais que cette peur n'était pas fondée. Ce serait comme avoir peur de voir mourir la symphonie numéro 9 de Schubert, ce qui, tu en conviendras avec moi, est une idée complètement farfelue.
Parfois je pense à toi, je t'imagine faisant un collage sur la table de ta cuisine, ou au jardin, avec toute l'attention que tu portes à ces graines que je ne connais pas, ces noms qui me paraissent tellement énigmatiques, frivoles, majestueux.
Pendant que je lisais ce qui t'arrivait, avec Blanche, avec Augustin et toute cette famille (j'y reviens, je suis un peu comme ça, radoteuse), j'étais aussi tiraillée (tiraillée, c'est le mot, parce que c'était physique aussi) par le désir d'être à tes côtés, de t'aider et de te consoler. De te consoler de quoi, je ne sais pas. Sûrement de tout, ce qui est bien trop brumeux pour être efficace. Et puis "de tout", comment veux-tu. Il y a des choses bien trop grandes à porter. Peut-être qu'elles aussi sont énigmatiques, frivoles, majestueuses, mais en tout cas, elles ne tiennent pas dans un sachet de graines à semer.
Comment va Avatar ? Est-ce qu'il se couche toujours sur tes plantations avec sa grâce de petit fauve ?
J'ai compris pourquoi tu ne peux pas mourir (oui, je rabâche, je remâche un peu, c'est mon côté une-idée-à-la-fois) : c'est parce que tu parles depuis un territoire d'intelligence de l'émotion.
Ou d'émotion intelligente (on peut inverser, c'est bien pratique).
Tu ne parles pas depuis la connaissance, et pourtant tu en as, érudite, inattendue, singulière dans ta façon d'envisager les choses. Tu ne parles pas depuis le savoir que tu possèdes, mais depuis l'émotion qu'il provoque, et la différence est énorme. À cause de ça, tu ne peux pas mourir. Et j'ai envie d'ajouter aussi, qu'à cause de ça, certains vivants sont morts, depuis longtemps, mais ils ne le savent pas (et je ne leur dirai rien, ça serait des paroles inutiles).
Benoît doit avoir bien grandi maintenant. Je viens de m'en rendre compte, Mauricette, mais dans ce que j'écris en ce moment, il y a un Benoît aussi. Même s'il n'est pas vraiment nommé clairement, d'ailleurs, c'est plutôt un Benedetto, mais je bavarde, je bavarde, c'est que j'aurais tant à te dire. Il faudrait que je prenne le train, puis le bus, assez longtemps, pour venir te voir, sous les grands ciels bas de chez toi, aux nuages effilés. Si tu voyais là où j'habite, l'horizon ce soir est jaune et rouge et les couleurs irréelles, inexplicables. Je pourrais t'emmener à la Chapelle de Ronchamp. Elle est bizarre, une étrangeté vraiment, un concept sur une colline. Une goutte d'eau blanche qu'on peut apercevoir de loin. Tu l'aimerais je crois. Et toi, tu m'emmènerais vers Hazebrouck, Merlimont, on pourrait même s'acheter un cerf-volant et tenter de le faire voler sur la plage, je ne suis pas très douée, mais pourquoi pas, ce serait une belle promenade, Amazing Grace.
Je devrais t'écrire plus souvent.
Je t'envoie une photo de ciel. La nuit tombe vite en ce moment, on voit la lune entre les branches du tulipier. Il paraît que cet arbre ne fleurit que tous les dix-sept ans, et je n'ai jamais vu ses fleurs. On dit qu'elles sont aussi grosses que des nénuphars, et blanches.
Je t'embrasse,
Christine
Avec Christine Jeanney, dans le cadre des "Vases communicants", nous avons eu tous deux envie d'écrire une lettre à Mauricette Beaussart. La mienne est lisible sur le site de Christine Jeanney.
Libellés : Blanche étincelle, Christine Jeanney, Lucien Suel, Mauricette B., vases communicants
8 Comments:
Photo envoyée dans le ciel comme une lettre par la Poste aérienne...
C’est vraiment une belle expérience !
Quelques jolies fleurs à cueillir dans ces vases communicants. Bravo.
j'allais dire "on dirait une vraie lettre écrite à une vraie Mauricette "mais quelle idiote je fais, bien sûr que c'est une vraie lettre écrite par une vraie Christine à une vraie Mauricette... c'est à cause de l'expression "c'est trop beau pour être vrai" je crois...
Merci pour votre visite et la lecture. Notre amie Mauricette commence bien l'année.
Ah oui, Benedetto, oui, tu sais quoi ? ce que j'aime savoir, c'est que là où il est -était enfin on s'en fout- c'est pas loin des Abbruzes (je m'égare : je parle de celui-là alors qu'il faudrait plutôt parler de Mauricette) (mais aussi c'est toi qui fais ces rapprochements) (c'est parce que j'aime bien ce mot "abbruzes" surtout si tu y mets les deux b hein) (tu remarqueras, mais c'est fortuit ça, que il y a aussi ce truc dans Hazebrouck) (c'est un z et c'est pas fortuit, non mais) (enfin je veux dire ça n'a rien de fortuit évidemment) (fortuit, oblique, va comprendre) (deux mille quatorze alors) (bises) PdB
Il faut lui écrire plus souvent des lettres aussi émouvantes.
Ami Niçois, merci pour ce commentaire. Je pense que la lettre est émouvante aussi à cause de sa rareté. On doit attendre, revivre, évoquer longuement avant de se lancer dans l'écriture d'une lettre à Mauricette.
à PdB (ou PCH)Merci pour la visite. Je n'avais pas remarqué la parenté entre azebbrouk et abbruzes.
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