jeudi 4 février 2016

Sans espoir de retour du courrier 5/5

« Sans espoir de retour du courrier », cette correspondance entre Alban Michel et Lucien Suel a été publiée en 1986 (30 ans déjà!) dans le n° 4 de la revue Après la plage.
Nous le faisons paraître ici en 5 épisodes. Il est question de plage, de jazz, de roman noir et d'Audrey Hepburn.

Biscarosse, le 4 août
Mon vieux Lucien,
Figure-toi que "Lulu" un opéra d'Alban Berg fut interdit en France en 1958. J'ai bien peur que cette lettre ne t'arrive jamais. Pourvu qu'il ne te soit rien arrivé. Ils connaissent les filles qui nous unissent. Je te tape vite fait ce que je sais. Ils m'ont retrouvé. J'espère que la dernière levée n'aura jamais lieu. Surtout ne te réfugie pas dans une salle obscure. Ils sont tous dans le coup. Le projectionniste, les spectateurs, la caissière, les ouvreuses. Ils contrôlent tout. Tu es entouré de dingues. Je sais ce que je tape, j'ai vécu dans un blockhaus de vingt-deux étages. Je ne te raconte pas ce qu'ils incinéraient dans le vide-ordures.
La fille aveugle bosse à la poste. Jusqu'à présent elle s'est contentée de transmettre les doubles de nos lettres à Dan Parker. Surtout ne t'enfuis pas dans un cinéma. Ça se termine presque toujours en incendie. Je m'en veux de t'avoir entraîné dans ce snuff-movie. J'avais besoin de blé et je ne salope jamais mes contrats. Tu me connais, je m'enflamme facilement lorsqu'on me promet l'éternité sur pellicule. J'ai signé. Pour éloigner le mal, pour pouvoir taper comme un dératé dans un clandé pour écrivains. Au mieux et en comptant les ratures j'ai réussi à leur taper dix pages.
Je dois un scénario de film porno à Robert Baker, et un article tout ce qu'il y a de plus élogieux sur les bonnes œuvres du Clan Murphy. Les sbires de Thomas F. Little campent en bas de l'hôtel sur la plage. Ils vont me tanner, sûr qu'ils font partie de la famille des cuivres. J'ai promis à leur monsignore un poème d'amour par jour qu'il signe et expédie à sa petite amie. Chiappe est de tous le plus coriace. Il m'a commandé une monumentale histoire de sa vie. Il confond nombril et sexe.
J'ignorais qu'ils travaillaient tous pour Dan Parker. C'est fichu pour ta ballade. Je suis sec. J'ai le bourbon. C'est pas le moment de laisser nos empreintes sur le sable. Maquillage de guerre. Mercredi des Cendres de mai à décembre. Tire-toi au plus vite de Stella-Plage. Parker tient tous les cinémas, les hôtels, les clandés, les écrivains et les garages de la côte. C'est grâce à lui que la fille de la réception porte des lunettes. Elle est heureuse de s'en tirer à si bon compte. Adieu. Je ne t'écrirai plus. Je t'enverrai des cartes postales.
Alban

Sans espoir de retour du courrier : Lettre 1
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 2
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 3
Sans espoir de retour du courrier : Lettre 4

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posted by Lucien Suel at 07:28

1 Comments:

Anonymous Dominique Hasselmann said...

Stella-Plage : un espace scintillant au firmament des stars...
Dommage que le film soit fini !

07:53  

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