Reprises de positions - Tom Nisse (8/9)
Il
n’est pas vraiment l’heure d’être optimiste pour autant, le
rapport de force linguistique et/ou de visibilité est loin de
pencher en faveur de ces certains d’entre nous. Citons ici la
conclusion d’un texte récent d’ordre plutôt politique de l’ami
poète Serge Delaive : « Notre parole, le Verbe. Et quand
les mots se révèlent inutiles, engloutis par le flot continu des
mots inutiles, ils conservent encore le devoir d’être énoncés. »
A l’intérieur d’une époque qui persécute la liberté, la seule
liberté possible réside dans l’action de se battre pour elle. Par
tous les moyens opportuns, parmi lesquels la poésie est une lame
avec une pointe en diamant. Pendant ce temps, la femme du bourreau
fait la vaisselle et la victime consentante visite le salon de
l’automobile.
Aussi,
être gardien de cette réserve naturelle du langage est, certains
d’entre nous le savent, le vivent, hautement risqué. D’une part
parce que nous sommes particulièrement exposés à la tristesse du
monde, aux blessures de la terre, aux successifs cultes, moribonds et
mortifères à la fois, entretenus par les pouvoirs politiques
successifs. Et conscients aussi des phénomènes du vide. D’autre
part parce qu’il nous incombe aussi d’entretenir une réflexion
virulente sur le langage en lui-même, sur la communication et la
communicabilité, ainsi que de toiser, et parfois l’abnégation
s’introduit, ses limites, étant inévitablement aux antipodes de
l’autosatisfaction créatrice. La gestion de notre passion ne
saurait admettre la stagnation. Elle réclame la mise en question
radicale des limites de la perception. Et des limites de
communicabilité de cette perception. Elle réclame de sans arrêt
s’aventurer vers les domaines indomptés du signe et du son. Et ce
dans un âge de l’humanité où ces domaines sont livrés à une
désertification de plus en plus rapide. Toiser de la sorte les
limites du langage est aussi jeu de danse tout près des précipices
du vide. L’épuisement et l’abattement rôdent, latents, en
filigrane. Parfois pourtant, certains d’entre nous arrivent à un
endroit, parfois une étape, de calme sérénité épanouie. Tendre
vers cela se fait automatiquement mais se mérite aussi. Et se
produit la plupart du temps quand le poème, l’œuvre, est achevé
et se détache de son géniteur pour vivre sa propre vie à l’état
sauvage.
Libellés : Poésie, Reprises de positions, Tom Nisse
2 Comments:
Encore une belle page et quel souffle ! Bravo.
Poésie pneumatique ! Merci pour votre enthousiasme.
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