"Mort d'un jardinier" lu par Jean-Pierre Bobillot
Lucien Suel : Mort d’un jardinier,
La Table ronde, 2008.
Plût au ciel que le lecteur, point trop oublieux des grandes œuvres
d’un passé turbulent, voulût bien se reporter, une fois de plus, aux pages
liminaires du « Chant sixième » de Maldoror : « je crois avoir enfin trouvé, après quelques
tâtonnements, ma formule définitive. C’est la meilleure : puisque c’est le
roman ! » Ironie, dira-t-on ; mais depuis quand l’ironie
n’aurait-elle plus affaire à la vérité ? Mieux, un peu plus haut, les cinq
« Chants » précédents ne sont-ils pas, rétroactivement, rebaptisés
« récits » ? Ce qui n’empêche pas Isidore Ducasse
d’affirmer : « je suis certain que l’effet sera très-poétique »,
ou : « ma poésie n’en sera que plus belle. »
Pour Lucien Suel, jadis auteur de Sombre ducasse (Ducasse ?) —
recueil de « tâtonnements » —, c’est toujours de cela qu’il
s’agit : « le roman ! » (avec le point d’exclamation) comme
aboutissement de ce qui se joue, sous l’appellation fallacieuse de
« poésie »…
En conséquence, Mort d’un
Jardinier est une longue prose litanique, à la scansion évoluante et
prégnante (une prose versée, donc),
d’un lyrisme poignant et drôle tour à tour, où se déploie, ordinaire et
sublime, toute une vie soucieuse de tout
le vivant — « des végétaux même », comme n’a pas
écrit Rimbaud… —, une méditation
toujours recommencée, à la ferveur des plus humbles gestes et préoccupations d’un homme soucieux de tout
l’humain : le senti mental a b c à
la puissance métaphysique. « J’ai
tant fait patience / Qu’à jamais j’oublie », écrit celui qui est trop
« pressé de trouver le lieu et la formule » : Lucien, plus
proche d’Isidore que d’Arthur ? mais plus besoin de « chanter le
Mal »…
Parmi tous les souvenirs qui, entre autres souvenirs et rêves ou
souvenirs plus ou moins rêvés, viennent irriguer l’esprit — en flottaison
trouble — du narràterre (tout le
texte est à la 2e personne et la terre, on s’en doute, y joue un
rôle primordial et ultime), aurait pu figurer sans hiatus celui qui fait
l’objet de Patismit : le premier
concert de Patti Smith auquel Lucien Suel (« poète ordinaire »,
ex-éditeur après son créateur Bernard Froidefond de The Starscrewer, revue punk
beat [1972-73, 1978-81] qui aujourd’hui mérite d’être ardemment
recherchée), raconte avoir assisté, en compagnie de sa fille, à Dranouter, en
Belgique, non loin de chez lui…
On ne peut sortir que bouleversé — et heureux — de cette haletante et
résumante confession, où allégorie et réalisme se côtoient jusqu’à se confondre :
autoportrait d’outre-tombe d’un homme
à la fois profondément « enraciné », par le travail de la terre et le
souci des ancêtres et des morts, et aériennement
« disponible », par l’accueil de toutes les cultures et des
contre-cultures et la pensée de l’universel. Ce sédenterre no mad déplace résolument les termes de la vieille
dialectique Barrès/Gide — et la périme —, sans pour autant céder à la
fallacieuse et paresseuse facilité consistant à dénier l’un, à l’exclusif
profit de l’autre (ou à dénier les deux) : tu trouveras peut-être là celui
que tu cherches, ô Diogène, mon semblable, mon frère !...
Libellés : Jean-Pierre Bobillot, Lucien Suel, Mort d'un jardinier, Patti Smith, sombre ducasse, Starscrewer
1 Comments:
ah oui, le roman ! Exactement. Belle critique...
PdB
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