Reprises de positions - Tom Nisse (5/9)
La
poésie ensuite est aussi travail de construction, de structure et de
style. De construction linguistique d’images qui rendent la réalité
diffuse du monde compacte. De structure formelle méticuleuse qui a
comme objectif évident d’être le soutien esthétique du propos ;
c’est ici que les contraintes peuvent faire éclore des surplus de
beauté et de poignantes scintillations de sens. Intervention de
style.
De construction rythmique et musicale également, ça va de soi.
Concernant le rythme, concédons que la métrique est depuis plus de
cent ans pour le moins informelle. Ce qui ne veut cependant pas dire
du tout qu’il faut la négliger. Même si de nos jours ceux qui
comptent les syllabes sont aussi rares que le trèfle est mauve, la
métrique est inhérente
au poème, qu’on le veuille ou non. Elle est son pouls. Si elle est
absente, comme ça a par le passé intentionnellement pu être le cas
dans certaines expérimentations poétiques, elle doit être
remplacée par une unité stylistique appropriée (procédé sonore,
ellipse, répétition ou autre) avec le tact clairvoyant qui s’impose
alors. Si par contre elle est négligée ou traitée avec dédain, le
poème est nul et non advenu. On ira donc, avec un soin et une
attention extrêmes, la trouver dans la respiration, dans les césures
voulues, dans la percussion des consonnes, dans le choix des vers
longs ou courts et l’alternance ou l’absence d’alternance entre
ceux-ci. Dans les astuces de la mise en page aussi. Dans le souffle
de l’encre et dans le souffle du souffle. Il n’est ensuite
absolument pas désuet d’avoir recours aux formes de versification
classiques, ni à la rime précise, au contraire, cela peut s’avérer
être une cogitation stimulante autant qu’un apprentissage décisif
de rigueur. Si la métrique est le pouls du poème, la musique est
l’articulation de sa portée dans l’espace. Le poème préfère
ne pas être boiteux, le poème préfère toujours la danse, même,
ou peut-être surtout, dans ses périodes les plus sombres. Parce
que, plus la musique qu’il exhale sera intense, plus il s’ancrera.
Et donc opérera. La palette des possibilités de composition
musicale est sans conteste des plus larges. Depuis la modernité, des
procédés tels la dissonance, la cassure, l’infraction ou encore
le minimalisme, et son contraire, l’avalanche, ont prouvé leur
indéniable (indéniable et offensive) faculté de déploiement de
nouveaux spectres conquérants légués au poème. Néanmoins, il
faut de nouveau rester vigilant, ce qui il y a quelques décennies
était réussite effervescente, parce que participant à la fronde,
doit aujourd’hui être manié avec la précaution appropriée. La
poésie exècre la redondance. Elle charrie son histoire mais ne doit
jamais s’immobiliser sur un quelconque acquis de celle-ci.
Pourtant, elle la charrie son histoire, les techniques classiques
d’obtention de musicalité restent valables et n’ont rien perdu
en vigueur. L’allitération, par exemple, et ne prenons qu'elle
comme exemple, mon intention n’étant pas de faire un traité de
versification, demeure particulièrement envoûtante, si elle est
manipulée avec tout le raffinement que son raffinement inhérent
potentiel exige. La recherche de la mélodie a pu être, à travers
les âges, une des obsessions principales de certains des meilleurs
poètes. Chez d’autres, tout aussi marquants, mais animés par
d’autres motivations, elle n’aura été qu’un moyen. Pour ma
part, je dirai que c’est le lieu de matrice du poème qui décide
de telle ou telle prépondérance. Quoi qu’il en soit, le rythme et
la musique siègent indiscutablement parmi les fondements premiers de
la poésie. Tentation de musicalité cohérente en symbiose avec les
visées sémantiques de la parole, c’est ainsi que peut frapper le
poème qui se respecte. J’affirme ensuite aussi que l’écriture
poétique est écriture automatique, en effet le mot suivant vient
bousculer le précédent, et l’image naît ainsi automatiquement.
Libellés : Poésie, Reprises de positions, Tom Nisse
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