Chapitre extrait de « Les confessions d’un homme en trop » par Alexandre Zinoviev, éditions Olivier Orban, 1990, traduit du russe par Galia Ackerman et Pierre Lorrain. Réédité chez Gallimard dans la collection folio/actuel en octobre 1991.
La zinoviega
L'aspiration aux plaisirs est une maladie typique de notre temps. Résiste à ce fléau et tu comprendras que la vraie jouissance se trouve dans le simple fait de vivre. Pour cela, il faut de la simplicité, de la clarté, de la modération et de la santé morale, qualités les plus simples qui deviennent rarissimes à notre époque. Pour la plupart des Soviétiques, la vie quotidienne indigente et la pénurie de tout ce qui fait plaisir est une réalité incontournable. Il faut penser à s'accommoder à cette vie et à trouver des compensations. Le seul moyen pour cela (si l'objectif de l'existence n'est pas la lutte pour le bien-être matériel) est de développer la spiritualité et les échanges spirituels. C'est vrai que l'homme aspire au bonheur. Mais le bonheur sans bornes et hors de tout contrôle de soi n'existe pas. Le bonheur ne peut être que la récompense de la modération et le résultat du contrôle de soi. Si tu te limites dans la vie quotidienne, ton ego se tournera vers un autre horizon. Ce n’est que là que le bonheur est possible. Autrement, ce n’est qu’une brève et éphémère illusion. La satisfaction naît de la victoire sur les circonstances. Mais le bonheur est le résultat de la victoire sur soi-même.
Je reconnais dans chaque être un Etat souverain, comme moi-même, indépendamment de sa situation sociale, de son âge, de son sexe ou de son niveau d'éducation. Mon attitude à l'égard des gens ne dépend ni de leur rang, ni de leur richesse, ni de leur notoriété, ni de leur utilité pour moi. Ce qui m'importe, c'est le degré de développement de leur âme et de leur personnalité.
J'adopte donc les principes suivants : Préserve ta dignité. Tiens-toi à distance des autres. Garde un comportement indépendant. Sois respectueux envers les autres et tolérant pour leurs faiblesses. Ne t'abaisse pas, ne fais pas de la lèche, quoi qu'il puisse t'en coûter. Ne traite personne de haut, même les nullités qui ne mériteraient que mépris. Appelle le génie, génie et le héros, héros. Ne magnifie pas les hommes de rien. Ne te rapproche pas des carriéristes, des intrigants, des calomniateurs et autres gens de peu. Discute, mais ne dispute pas. Parle, mais ne pérore pas. Explique, mais ne fais pas la propagande. Ne réponds pas si l'on ne te l'a pas demandé. Si on le fait, ne réponds que sur la question posée. N'attire pas l'attention. Si tu peux te passer de l'aide d'autrui, fais-le. N'impose pas ton aide. N'aie pas de relations trop proches avec les gens. Ne tente pas de pénétrer dans l'âme d'autrui et ne laisse personne pénétrer dans la tienne. Promets si tu es sûr de pouvoir tenir ta promesse. Si tu as promis, tiens ta promesse à tout prix. N'échafaude ni intrigues ni ruses. Ne sermonne pas. Ne te réjouis pas des malheurs d'autrui. Dans la lutte, donne l'avantage à l'adversaire. Ne crée d'obstacles à personne. Ne fais ni compétition ni concurrence. Choisis le chemin qui est libre ou que les autres n'empruntent pas. Avance le plus loin possible sur ce chemin. Et si d'autres empruntent la même voie, abandonne-la : pour toi, c'est une fausse direction. La vérité n'est exprimée que par les solitaires. Si de nombreuses personnes partagent tes convictions, cela signifie qu'il y a dedans un mensonge idéologique qui les arrange. Si tu as à choisir entre « être » et « paraître », donne la préférence au premier. Ne cède pas à l'ivresse de la gloire ou de la notoriété. Il vaut mieux être sous-estimé que surestimé. Rappelle-toi qui te juge et qui t'apprécie. Mieux vaut avoir un seul admirateur sincère et à ta hauteur que des milliers de faux adulateurs.
Ne force pas les autres. Contraindre les autres n'est pas une marque de volonté. Seule la contrainte de soi-même l'est. Mais ne permets pas aux autres de te contraindre. Résiste à la force supérieure par tous les moyens.
Accuse-toi de tout. Si tes enfants ont grandi cruels, c'est toi qui les as élevés ainsi. Si ton ami t'a trahi, c'est toi qui es coupable de t'être confié à lui. Si ta femme t’a trompé, c'est toi qui as rendu possible son infidélité.
Si le pouvoir t'opprime, tu es coupable d'avoir contribué à sa puissance.
à suivre
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