vendredi 22 octobre 2021

Venir au vent (XI) par Laurent Margantin

Au port de santa teresa

V

 Arrivé au port de Santa Teresa

à la pointe nord de la Sardaigne

une curieuse et immense fatigue m'enveloppa

fatigue de bout du monde

 

il fait chaud dans cette chambre

un papillon de nuit est collé à la lampe du plafond

Tchouang-tseu peut-être

qui sait

tu aurais bien envie d'envoyer quelques assiettes

voltiger par la fenêtre

leurs bris continuer vos éclats de rire

présent infini de ce monde nocturne

où l'éveil est au maximum

malgré l'envie de s'allonger par terre

pour dormir et dormir encore

 

des heures à regarder les vagues

ici et ailleurs

terre emportée par leurs mouvements

que je lis même à la surface de la roche

lignes d'un monde inconnu

qui est aussi celui de l'esprit

 

où allais-tu, Pythéas?

tu ne le savais pas toi-même

il faut saisir cette musique

qui articule l'univers de nos songes

d'eux à nous continue un même rythme

très ancien et qui se renouvelle toujours

 

je lis le journal qui raconte

qu'à l'origine des temps

selon une antique légende

les Indiens Navajos abusaient du jeu

les uns voulant jouer la nuit

les autres le jour

et qu'aucun n'ayant gagné

à présent le jour alterne avec la nuit

 

eaux gonflées de la mer

et replis de la mémoire

méandres de l'esprit

 

et surgit soudain la clarté du monde

 

il fait nuit et jour

en même temps, en cet instant

obscurité et lumière se mêlent

comme sur cette côte où j'accédai

au dernier village qui s'appelait Å

grand a surmonté d'un cercle

que je dus traverser longeant un lac

et puis faisant l'ascension d'une montagne à pic

chaussé de misérables tennis

sur la crête je découvris l'autre versant

et le bout de l'île

des heures j'attendais le nuit qui ne venait pas

minuit absolument solaire

 

et ici à Santa Teresa

comme là-bas, les vagues s’éveillent

les flots se délivrent de leurs mauvais plis

éclatent contre la roche jour violent

jour clair

je ne saurai plus dormir

à force de parcourir ces côtes toujours lumineuses

je me tairai sans me taire

vous verrez mes bras se mouvoir

et parler encore malgré moi de cette aurore

un monde s'ouvrir toujours

mime de l'espace infini

embrassant le présent éclos

immense fatigue

veille sans fin

 

les vagues s'étendent et se mêlent

s'étendent et se mêlent.

 

Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)

 

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posted by Lucien Suel at 07:25