vendredi 20 août 2021

Venir au vent (II) par Laurent Margantin

 reconnaissance

En souvenir d'anciens visages

(Val d'Oise)

 

C'était un automne pareil à celui-ci,

automne de longues marches et de paroles brèves,

soufflées, aussitôt dites, par la bourrasque.

 

Nous préférions à la propreté grise

de la ville nouvelle la bouillasse des chemins,

que nous rejoignions au-delà de Pontoise

en suivant la Seine, et, plus loin que le confluent,

l'Oise.

 

Depuis les hauteurs d'Herblay,

Paris semblait un champ de ruines moderne.

 

Il pleuvait souvent, nous entrions dans des cafés

où l'on parlait à voix basse,

où quelques-uns se taisaient toute la journée,

occupés à compter les péniches qui passaient.

Et nous apprenions nous-mêmes

à ne plus parler,

à oublier un peu les livres,

et ce qu'il fallait en penser.

 

Entre deux averses,

nous allions en silence.

 

À Pontoise, nous montions sur les hauteurs

de la ville, jusqu'au musée municipal,

pour n'y trouver que des tableaux impressionnistes

aussi tristes et gris que le ciel à la fenêtre.

 

Ce ne pouvait être là la destination.

Plus que tout, nous désirions une échappée.

 

Qu'est-ce qui nous entraînait vers ce lieu

qui était pour nous comme la pointe déchirée

d'une côte, comme le cap extrême

d'où apercevoir un autre continent ?

 

Dans les ruelles, en ce mois d'octobre,

les ateliers étaient fermés, la clientèle absente.

Nous marchions au hasard dans ce pays désert,

que nous connaissions déjà,

pour l'avoir tant arpenté.

 

Marche un peu lugubre dans ce village mort,

puis dans les champs de tournesol,

nous éloignant du cimetière.

Gauguin avait foutu le camp,

crachant sur cette Europe exsangue.

Vincent avait préféré s'arrêter ici,

cherchant lui aussi une vision.

 

Il ne restait de cette recherche,

présents en nous-mêmes,

que les morceaux brisés, broyés d'une mosaïque,

que les multiples signes d'une fulgurante exténuation,

et, ici même, au bout des terres,

une douzaine de corbeaux

qui, partis pour aucun dehors,

peignaient la tempête.

 

Laurent Margantin est un auteur et traducteur vivant à la Réunion. Il a publié plusieurs récits (Aux îles Kerguelen, Le Chenil, Roman national) aux éditions Œuvres ouvertes et des poèmes dans plusieurs revues. Il travaille depuis plusieurs années à une édition critique du Journal de Kafka accessible en ligne (www.journalkafka.com). Dernière publication : Les Carnets du nouveau jour /3 (éditions Œuvres ouvertes)

 

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posted by Lucien Suel at 07:25